Journée internationale des femmes : entretien avec une femme leader

24 mars 2021

Mme Rajae Chafil, Directrice du Centre marocain de Compétences en Changement Climatique (4C Maroc) et membre de la Commission spéciale chargée de l’élaboration du nouveau modèle de développement.

La journée internationale des femmes nous offre chaque année l’occasion de célébrer la place qu’occupent les femmes dans la société. Elle est l’occasion de faire le point sur la situation des femmes, de fêter les victoires et les avancées, mais aussi de mettre en avant la lutte pour les droits des femmes et pour plus d’égalité.

Cette année, le Système des Nations Unies pour le développement au Maroc a décidé de célébrer les femmes qui font bouger les lignes au Maroc, et qui contribuent à la création de modèles de leadership au féminin et à l’édification d’une société plus durable et inclusive. Ce qui suit est un entretien accordé par Mme Rajae Chafil, Directrice du Centre marocain de Compétences en Changement Climatique (4C Maroc) et membre de la Commission spéciale chargée de l’élaboration du nouveau modèle de développement.

Q : Mme Chafil, vous représentez un véritable exemple de leadership féminin au niveau national et international sur la question du changement climatique. Parlez-nous de votre parcours et de ce qui a orienté votre choix de faire du changement climatique votre domaine de compétence.

Permettez-moi tout d’abord de souligner que je suis un pur produit de l’école publique marocaine. J’ai étudié à Casablanca plus précisément. Après l’obtention de mon baccalauréat en sciences naturelles, je me suis dirigée tout naturellement vers la biologie parce que tout ce qui a trait à la nature, aux plantes et aux animaux, m’a toujours fascinée.

J’ai été majorante de ma promotion en licence en biologie végétale de la faculté d’Ain Chok à Casablanca, ce qui m’a valu l'obtention d'une bourse d’études du Ministère de l'Education Nationale, de la Formation Professionnelle, de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique qui m’a permis de poursuivre mes études en France. Ceci m'a permis de préparer un diplôme d’études approfondies en toxicologie de l’environnement, puis un Doctorat en Toxicologie Industrielle entre l'Université de Lille II de Droit et Santé et l’Institut Européen d’Ecologie de Metz. J'ai pu ainsi baigner pendant 5 années intenses dans le monde de la recherche sur l'environnement, l'évaluation des différents niveaux de pollutions et de nuisances, ainsi que sur les impacts néfastes des polluants sur la santé humaine, notamment les polluants atmosphériques.

En 1991, avec mon Doctorat en poche, j’ai décidé de rentrer au pays et j’ai débuté ma carrière à l’Institut Pasteur du Maroc.

J’ai ensuite rejoint le Département de l’Environnement qui venait tout juste d’être créé au sein du Ministère de l’Intérieur. En tant que spécialiste de la lutte contre la pollution atmosphérique, j’ai été chargée des grands dossiers relatifs à la pollution industrielle et au changement climatique.  

Après avoir occupé plusieurs postes de responsabilité au sein du Département de l'environnement pendant 16 ans, la mobilité professionnelle sur d’autres continents, notamment au Canada et auprès de l'Union européenne à Bruxelles, m’a ouvert des perspectives considérables et m’a permis de mettre à profit mon expérience et mon expertise au service du développement de mon pays où je suis retournée en 2016, avec l'intention d'apporter ma modeste contribution au travaux de la COP22 organisée à Marrakech.

Q : Selon vous, est ce que les femmes et les hommes expérimentent le changement climatique de la même manière ?

Certainement pas dans les pays en développement et plus particulièrement en milieu rural. En effet, si on prend l’exemple des tâches qui sont assignées aux femmes, telles que l’approvisionnement en eau, ce sont les femmes et les jeunes filles qui se chargent le plus souvent de cette corvée. Dans les régions où il n y’a pas d’adduction d’eau, plus les points d’eau sont asséchés, plus les femmes et les jeunes filles sont dans l’obligation de parcourir de longues distances depuis leur village pour chercher l’eau. Outre la fatigue physique de cet effort indispensable, elles courent des risques d’accident et d’agression, parfois graves.  N'oublions pas que certaines petites filles doivent même, dans certains pays, quitter l'école pour contribuer aux tâches domestiques, notamment l'approvisionnement en eau.

Les femmes subissent de plein fouet l’impact du changement climatique et lors de catastrophes climatiques, elles doivent affronter des risques supplémentaires en raison de facteurs sociaux, économiques et culturels. Lorsque qu’une inondation par exemple survient pendant la journée, la femme peut se trouver seule à la maison avec ses enfants. Ses faibles performances physiques entravent souvent ses efforts pour sauver ses enfants et ses biens. Ces facteurs et d’autres peuvent accroître de façon disproportionnée le taux de mortalité parmi les femmes et les enfants.  

Mais les femmes font aussi partie de la solution et jouent un rôle clé dans la lutte contre le changement climatique. Les femmes gèrent les provisions ; elles participent aux activités agricoles. On sait aujourd’hui que les femmes mettent beaucoup de soin à choisir les semences les plus résistantes à la sécheresse et à préserver les denrées alimentaires et l'eau en cas de pénurie de ressources. C’est la raison pour laquelle il faut les impliquer davantage dans la recherche de solutions, notamment en matière d’adaptation aux effets néfastes du changement climatique.

Q : Est-ce que, selon vous, les femmes sont encore sous-représentées dans les postes de responsabilité et de prise de décisions quand il s’agit des questions relatives au changement climatique ?

Oui, c’est sûr ! On dit souvent que près de la moitié des fonctionnaires de l’administration marocaine sont des femmes, mais ces chiffres restent à nuancer, dans le sens où dans les postes de responsabilités supérieurs, tels que les postes de Secrétaire Général et de Directeur d'Administration Centrale, on ne trouve qu’entre 10% et 12% de femmes. C’est ce qu’indique une étude d’ONU FEMMES et du Département de la Réforme de l’Administration et de la Fonction Publique (MRAFP) sur la place des femmes fonctionnaires aux postes de responsabilité dans l’administration publique au Maroc.

Certains disent que les femmes ne souhaitent pas occuper des postes de responsabilité. Ce n’est pas toujours vrai. Je pense que les femmes ne sont pas encouragées à présenter leur candidature. Je suggère à tous les recruteurs d’ajouter la phrase magique « les candidatures féminines sont fortement encouragées » dans les offres d’emplois, comme font les agences onusiennes. J’ai adopté cette pratique au sein de mes responsabilités antérieures et ça marchait. Cela permet d’ouvrir aux femmes des possibilités de gravir les échelons et d’accéder aux postes supérieurs de responsabilité.

Je me souviens que lorsque j’ai eu mon premier poste de Directrice Centrale, à une époque où il était rare de trouver une femme à ce genre de postes, un de mes collègues m’avait lancé "tu n'es qu’un quota!". J'espère que mes performances depuis, au niveau national et international, lui ont fait changer d'avis ! La mentalité reste patriarcale, du moins dans l’administration. Certaines personnes pensent que les femmes ne sont pas à leur place et font tout pour le leur faire sentir.

Il faudrait que les femmes et les hommes puissent prendre part aux décisions sur un pied d’égalité. On ne peut que se réjouir de la révision en cours des lois électorales qui permettront, à mon sens, à plus de femmes d’accéder à la gestion des affaires locales et territoriales. J’espère notamment voir plus de mairesses à l’avenir! Elles seraient capables de rendre nos villes plus belles !

Q : Avez-vous un conseil à donner aux jeunes femmes et un conseil aux décideurs pour faire avancer les droits des femmes ?

J’encourage vivement toutes les femmes du Maroc et d’ailleurs à poursuivre leurs rêves, à n’avoir peur de rien, à ne pas s’arrêter sur les clichés qui collent parfois aux femmes et à aller de l’avant. Dans notre pays, il y a beaucoup de choses à faire et nous avons besoin de nos hommes et de nos femmes réunis.

J’encourage les décideurs à ouvrir un peu plus la porte aux femmes, à leur faciliter l’accès à des postes de décision et à les impliquer davantage dans la gestion des affaires publiques. J'encourage également nos partis politiques à ouvrir leurs portes aux femmes. Ils y ont beaucoup à gagner !

Enfin, j’encourage les femmes à ne pas hésiter à convoiter activement des postes de responsabilité car elles ont prouvé qu’elles ont beaucoup de compétences. Où qu’elles soient, elles démontrent leurs talents.